Comment parler de Cuba dans un Starbucks mexicain

Comment parler de Cuba dans un Starbucks de Mexico City ? Comment retranscrire un voyage dans le temps quand on est entouré par l’opulente modernité d’une des plus grandes villes du monde. Peut-être en commençant par ce pour quoi Cuba n’est pas Mexico, Paris ou Rio. À Cuba, il n’y a pas de Mac Do et autres grandes chaînes américaines, il n’y a pas de magasins à tous les coins de rue, ni de grands supermarchés, ni de centres commerciaux, il n’y a pas de wifi partout, ni d’embouteillages, et surtout, oh oui et ça fait tellement du bien, il n’y a pas de pubs. Aucune, nulle part. La vue n’est pas saturée à longueur de journée par des filles en extase devant des pots de yaourt ou de jeunes cadres dynamiques aux dents plus blanches que blanches qui vendent des taux d’intérêt bancaire sur papier glacé. Alors Cuba serait-il un paradis ? Oui et non. Ni plus, ni moins qu’ailleurs.

Cuba est un sujet tellement sensible, chacun y met tant d’idéologie derrière, qu’il est impossible d’en discuter sereinement. Il y a ceux qui le conspuent, car ils y voient la preuve que le communisme est une horreur absolue et d’autres qui le considère comme un paradis de la révolution socialiste. En vérité ? Je ne sais pas, je laisse chacun se faire son avis, j’ai le mien, même si je ne pense pas qu’un mois et demi de voyage sur l’île me permette de juger quoique ce soit. Nous nous sommes plongés dans la culture cubaine et nous en sommes ressortis avec encore plus de questions qu’à notre arrivée. Il n’y a qu’à voir le nombre de bouquins qui tentent de répondre trancher sur la question pour se rendre compte que, avant d’être un débat idéologique, Cuba est un pays complexe avec ses bons et mauvais côtés, comme tous les autres. Voici mon Cuba, nos découvertes, cette île que l’on avait tant fantasmée, ce pays qu’on a eu du mal à quitter.

Nous sommes arrivés à La Havane par une chaude soirée de fin d’été. Nous avions beau débarquer d’Amérique centrale, nous avons quand même été saisis par ce bain de chaleur et d’humidité, cette odeur de pluie tiède sur le tarmac chaud, de feuilles, de terre qui vous attrape. On a plongé dans ce bain ambiant, celui qui vous accueille à la sortie de l’avion et qui vous souhaite la bienvenue sous les tropiques. Il nous paru si familier, nous rappela tant d’autres, que nous nous sentîmes bien, de suite. Nous étions crevés par nos trois jours de voyage et notre nuit blanche, mais tellement excités d’être là.

Le soir, on s’assoit dans un vieux resto où des photos d’un Depardieu saoul sont accrochées au mur, par la fenêtre on voit la façade d’un magnifique immeuble dont il ne reste plus que l’ossature derrière cette impression de décor de carton pâte, on entrevoit les gravats d’un faste révolu, une belle Américaine effraie un chat errant en roulement doucement, tout est plongé dans la pénombre, la lumière des réverbères est faible, elle baigne la scène d’une couleur jaune sépia. On se frotte les yeux pour vérifier qu’on ne rêve pas. Nan ça va, tout est en couleur, nous ne sommes pas dans un vieux film américain.

Le lendemain matin, la cacophonie de la rue nous réveille: gamins qui jouent, cris des vendeurs ambulants, le cof-cof-cof des moteurs de vieilles voitures, de la musique, des gens qui s’interpellent à la fenêtre. Nous avons loué une chambre chez Irina et son père Julio, un ancien prof de génie mécanique à la retraite. Il faut savoir que pour se loger à Cuba, vous avez le choix entre les hôtels d’Etat super chers et la chambre chez l’habitant, avec des prix et du confort pour tous les budgets. Nous avions choisi le Centro Habana pour passer notre première semaine. D’abord, parce qu’il est entre les deux quartiers touristiques que sont Habana Vieja et le Vedado.

Habana Vieja est le centre historique de la capitale cubaine, c’est là où il y a les anciens remparts, le premier port qui voyait partir les caravelles qui emportaient les richesses du Nouveau Monde vers le Royaume d’Espagne et les nombreux bars où Hemingway picolait toute la journée. Comment savoir qu’Hemingway est passé par là? Si l’établissement existait déjà dans les années 40, il y a de fortes chances que l’on y voit une relique de ce cher Ernest. Quant au Vedado, c’est l’ancien quartier des riches propriétaires cubains qui ont abandonné leurs belles villas à l’arrivée de Fidel Castro au pouvoir et des anciens lupanars et autres boites de nuits exotiques du temps où les gangsters américains se servaient de la Havane comme d’un bordel. Ces deux quartiers sont reliés par la grande avenue de bord de mer, dont vous avez déjà du entendre le nom, sans savoir trop pourquoi : le Malecon.

En soi le mot Malecon est un terme espagnol générique qui désigne un rempart face à la mer et qui donne très souvent son nom à une grande avenue en bord de mer. Mais pourquoi avez-vous déjà entendu quelqu’un quelque part s’exclamer que, ah le Malecon de la Havane, c’est extraordinaire? C’est la première question que je me suis posée en arrivant sur ce fronton de mer qui relie l’ancienne à la plus récente Havane. À première vue, ce n’est pas Copacabana, juste une grande avenue à quatre voie, beaucoup trop large pour le peu de voitures qui passent et sur laquelle s’alignent les vieux immeubles construits par la mafia de Miami dans les années 50. Si vous passez par là en journée, vous n’ y trouverez qu’une poignée d’habitants à la recherche des spots wifi et une bonne insolation. Les secrets du Malecon se révèlent à la nuit tombée. Quand le soleil commence à se coucher, les recoins crades et le bel horizon se baignent d’or, et alors comme par magie, tout s’égalise, tout devient beau. Même les gens, tous les gens, qui du coup en profitent pour se prendre en selfie. Le soir, sur le Malecon, il y a les gens du quartier qui viennent papoter et commérer sur les autres gens du quartier qui passent, il y a des ados qui passent des heures à se rouler des pelles monumentales à se décrocher mâchoires et amygdales, il y a des marchands ambulants qui vendent clopes et granités, il y a des bandes de copains qui se partagent une bouteille de rhum, il y a des vieux qui se partagent la pizza pas chère et bien grasse et chaude à se brûler les mains, mais tellement bonne, du boui-boui du coin; il y aussi des touristes qui viennent voir tout ça.

Couchers de soleil sur le Malecon.

 

Et au milieu de tout ça, il y a le Centro Habana, le quartier où nous avons élu domicile pour notre semaine havanaise. En plus de son côté central donc, nous avons choisi ce quartier parce que c’est le plus popu du centre-ville, celui des vrais gens de la vraie vie comme diraient des gens de la fausse vie. À première vue, ce quartier a l’air naze. Il pue, il est crade, les immeubles sont déglingués, les gens vous bousculent sans s’excuser, il n’y a rien à faire et c’est super bruyant. Mais nous, on l’aime bien justement pour tout ça, parce qu’il est plein de vie, parce qu’il y règne une constante cacophonie, parce que le soir, tout le monde vit dans la rue, que les portes restent ouvertes, que les vieux mettent leurs chaises en plastique sur le trottoir pour papoter, parce que les jeunes viennent prendre de leurs nouvelles en passant, parce qu’au milieu de la rue les gamins jouent au base-ball et doivent arrêter leur partie quand parfois il y a une voiture qui passe, parce qu’il y a notre vendeur de pizzas pas chères et bien grasses et chaudes à se brûler les mains mais, tellement bonnes. Parce que ça me fait tellement penser à Belem et que par le fait, j’ai toujours une grande sympathie pour les endroits qui ressemblent à Belem (NB: ceux qui ne me connaissent pas se demanderont pourquoi Belem, c’est juste parce que j’y aie passé beaucoup de temps petite dû au fait que ma mère est de là-bas, CQFD.)

Cuba résumé à un vendeur de pizza

Je vais vous faire un aparté sur le vendeur de pizza parce que d’une il est vraiment sympa et de que de deux, je pense que son échoppe est un morceau de vie cubaine. Notre petit vendeur de pizza, comme disent les sales gens comme nous qui aiment bien s’approprier les choses, a monté sa petite affaire dans son salon. Ça peut vous paraître bizarre mais sachez que c’est très courant en Amérique du Sud ( par exemple quand j’étais petite à Belem, maintenant vous comprenez pourquoi j’en parle souvent, ma tante avait transformé son salon en épicerie, ce qui fait que j’ai souvent joué à la marchande pour de vrai). A Cuba, cela est d’autant plus vrai qu’encore récemment l’entreprise privée y était interdite. Kezako?

Pour éviter le trop grand enrichissement personnel et les inégalités sociales, le gouvernement socialiste a nationalisé les entreprises et créé un système de coopérative générale. Concrètement, il n’y avait pas de magasins privés, les supermarchés appartiennent toujours à l’Etat et le prix de ses articles sont les mêmes partout. Il n’y avait pas de restaurants privés mais des restaurants étatiques, l’Etat restaure d’anciennes maisons coloniales, la bouffe est plutôt simple et les prix sont démocratiques, les impôts récoltés par ces restaurants servent à la rénovation d’autres anciens immeubles, c’est une façon de préserver le patrimoine de la ville. Dans les années 90, l’Etat a autorisé les cubains à vendre et servir de la nourriture chez eux, ce qu’on pourrait appeler une table d’hôtes. En 2011, les « paladares » ont pu augmenter leur capacité d’accueil ce qui fait qu’aujourd’hui l’île compte de nombreux restaurants comme on les connait ailleurs.

Bon, et notre pizzaïolo dans tout ça ? Comme beaucoup de cubains, il a monté son petit négoce chez lui et comme beaucoup de cubains, il vend des pizzas par sa fenêtre. Sa cuisine tient dans un mouchoir de poche et au menu il y a des pizzas tomate-fromage, des pizzas tomate-fromage-jambon, des spaghettis à la sauce tomate, des spaghettis à la sauce tomate avec une tonne de fromage rappé et des spaghettis à la sauce tomate avec une tonne de fromage rappé et du jambon. On y descend le soir, on peut y aller aussi à midi mais il n’y a personne parce qu’il fait trop chaud. Le soir, il y a bien la moitié des gens du quartier parce que c’est bon et surtout, c’est vraiment pas cher, même pour les cubains.

Quand je parle de file d’attente, ne vous attendez pas à voir une queue de gens sagement alignés les uns derrière les autres, que nenni, les Cubains ont ré-inventé la file d’attente. A première vue, vous verrez juste deux-trois personnes sagement alignés et le reste des gens vaguent à leurs occupations dans les alentours. En arrivant, il faut crier à la volée « Ultimo? » qui veut dire « Quien es el ultimo de la cola por favor? » ce qui veut dire « Qui est le dernier de la queue? » Là, le dernier vous dit que c’est lui le dernier arrivé et donc vous lui répondez que ok, vous prenez place derrière lui, s’ensuit souvent une petite discussion sur le temps ou la file d’attente et ensuite, libre à vous d’aller vous asseoir un peu plus loin, généralement c’est à l’ombre. Si quelqu’un d’autre arrive après vous, vous pouvez même aller faire un tour et vaquer à ses occupation, du coup avant de partir vous dites à vos voisins, je suis après toi et avant lui ok ? Quand la fin de l’attente approche, vous prenez place dans la petite file des quelques personnes devant l’immeuble pour pas louper votre tour. Et ça marche pour toutes les files d’attente cubaines, qu’on attende à l’administration ou devant son vendeur de pizza.

Le Base-ball est le sport préféré des cubains et donc, des gamins qui jouent dans les parcs.

Le soir, devant l’échoppe de notre vendeur de pizza préféré donc, il y a plein de gens tout autour qui vont et viennent, qui papotent entre eux ou avec lui, beaucoup ont leur assiette à la main. À Cuba, les assiettes et couverts en plastiques sont extrêmement rares, en tout cas on n’en a jamais vu. Du coup, ceux qui viennent pour les spaghetti ramènent leurs assiettes, Fernando leur sert les pâtes et ils repartent chez eux en faisant bien gaffe à ne pas la faire tomber. Il y en a toujours un dans le lot qui vient avec sa plus grande assiette voire même un saladier, histoire d’en avoir plus, même s’il sait très bien que Fernando sert toujours la même portion. Nous, on prenait toujours des pizzas, et comme Fernando n’a pas de boite en carton, il nous les servait sur trois feuilles A4, qui offraient l’avantage de se brûler les mains au 3ème degré et de les avoir pleines d’huile. Ensuite il fallait revenir à la maison en évitant les obstacles, puis demander à la gamine du rez-de-chaussée qui jouait à la dînette sur les marches, si elle voulait bien nous aider à ouvrir la porte d’entrée puis fallait grimper deux étages puis un escalier de la mort dont on se demande comment il tient encore debout, le tout en faisant des acrobaties avec ses mains brûlées pour ne pas faire tomber la pizza toute molle. Mais une fois arrivés sur le toit terrasse, nous avions la ville grouillante à nos pieds, cette pizza à l’huile nous apparaissait comme le meilleur repas de notre vie, nous étions les rois du monde.

Bon à force de déblatérer sur un vendeur de pizza, je me rends compte que j’ai noirci l’écran et que je n’en suis qu’à notre première semaine à Cuba. Je ne vous ai pas encore raconté les rues de la Havane, ni surtout tout le reste de l’île, notre famille d’adoption à Santiago, notre ennui à Camaguey, notre amour pour Trinidad et nos aventures avec notre copain Doudou et un cheval. Je me vois donc dans l’obligation de vous écrire un prochain épisode, désolée. 

 

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One Response to “Comment parler de Cuba dans un Starbucks mexicain”

  • Pepito del cubanito

    Miam! Ça m’a mis en appetit tout cela… bel article, comme d’habitude