Pour remonter la Cordillère des Andes, deux routes, deux écoles. D’un côté, celle qui traverse toute l’Argentine du Nord au Sud, devenue célèbre dans le monde entier grâce au carnet de voyage du Che et sa longue traversée dans les pampas sur passages caillouteux, la route 40. De l’autre, celle qui relie la Patagonie chilienne à la région des lacs et des volcans, plus discrète, elle file des uppercuts dans les yeux à chaque virage, nous parlons bien sûr de la Carretera austral. Nous avons choisi la deuxième option. Après notre escapade du côté ouest de la Cordillère des Andes, nous avons retraversé la frontière montagneuse pour retrouver notre cher Chili chéri.
Une des principales raisons pour avoir choisi de passer par la Carretera austral s’appelle Odile. Odile est une bonne copine de Caroline qui dit « magnifique » quand elle est contente et « bordel de petit-pois » dans le cas contraire. Un jour, Caroline lui a demandé quels avaient été les meilleurs moments de sa vie et, dans la bibliothèque de ses grands bonheurs, Odile a ressorti ses vacances au bord du lac Général Carrera avec mari et fillettes. Quand Odile goûte au bonheur, elle se prend pour « les rois du monde ». Et, comme c’est une fille qui sait savamment cuisiner le bonheur, nous voulions nous aussi y gouter un peu.
Il n’y a pas vraiment de recette toute faite du bonheur me diriez-vous. Ca ne se vend pas en supermarché, on peut difficilement le préparer à l’avance et on déconseille de le congeler sous peine de le périmer avant la date de péremption. Et, contrairement à la vengeance, il se mange chaud. Il n’y a rien de plus indigeste qu’une tranche de bonheur réchauffée. Le grand avantage d’une poêlée de bonheur aux petits oignons, c’est que chacun a sa recette et se la prépare quand il veut.
Si le bonheur n’a pas de recette, on y retrouve souvent au choix, les mêmes ingrédients : un joli décor, un peu d’aventure, de l’imprévu, (ajoute des trucs sympas). Et une fois concocté ça se savoure, car il faut prendre son temps, sous peine de ne le reconnaitre qu’au bruit qu’il fait quand il s’en va. Ca peut-être avec un amour, des copains, des inconnus, des inconnus qui deviennent des copains, l’important est de le partager. Voici nos petites recettes du bonheur à la Carretera austral.
Velouté de luxe sur lit de verdure, accompagné de montagnes enneigées à la sauce au lac
Passé la frontière, le premier village de notre menu s’appelle Chile chico. Sympathique petite bourgade où nous avons fait connaissance avec le lac Général Carrera. Il est grand, c’est d’ailleurs le 2e plus grand lac d’Amérique du Sud après le Titicaca et fait la taille du département de l’Essonne. Il est à cheval entre les deux pays, même si sa plus grande partie est au Chili. Il se fait appeler lac Buenos Aires en Argentine et a reçu le nom d’un des « pères fondateurs » de la nation, côté chilien. Son nom n’est pas très glam, mais il est l’un des plus beaux décors de bonheur que l’on ait jamais vu.
Suivant la recette d’Odile, nous voulions nous offrir un lit croquignolet en bord de lac afin de s’offrir une bonne tranche de bonheur. Fatigués par nos nuits froides dans le Tuctuc et la semaine de non-fun à El Chaltén, nous avons jeté notre dévolu sur un charmant lodge d’où l’on pouvait admirer le lac en restant sous la couette. On avait décidé de se mettre bien. Après tout, cette ivresse valait un beau flacon.
Deuxième ingrédient de cette recette du bonheur donc, la frustration pré-réjouissance. Le pain au chocolat de la boulangerie que ta maman t’a acheté en sortant de l’école parce que t’as eu une longue journée de contrôles est toujours meilleur que celui que tu as acheté à la machine du quai du métro entre deux rendez-vous parce que t’y as pensé beaucoup plus longtemps. Bah, là c’est pareil. Cette parenthèse de luxe, calme et volupté a d’autant été plus appréciée qu’elle est arrivée après beaucoup de moments purée mousseline.
Après avoir bien mijoté notre bouillon de volupté, nous sommes passés à l’étape dégustation – délectation – kifage totale. Nous avons d’abord éteint tous appareils électroniques pour ne pas être dérangés pendant le spectacle que nous offrait la nature. Puis nous sommes entrés dans notre parenthèse enchantée composée de : couchi-couchi avec des petits chatons / bain moussant / yoga au coucher de soleil / pique-nique sur la terrasse (parce qu’on avait de quoi se payer la chambre, mais pas le dîner qui allait avec) / contemplation du coucher de soleil sur le lac / observation des étoiles (par observation, j’entends qu’on regardait béatement la nuit étoilée en répétant toutes les 5 min que ho, c’est vachement beau le ciel.)
(Ouverture de parenthèse sur le lit. (Le lit était ultra mega King size, plus large que long. À se demander si c’était un matelas géant ou deux lits King size réunis. Si large que nous pouvions faire les étoiles de mer de chaque côté du lit sans se toucher, ni toucher les propres bords du lit. Géant, vous dis-je. Tellement géant qu’on pouvait s’amuser à rouler sur soi-même pendant un bon moment. Ce que nous avons fait. Fermeture de la parenthèse sur le lit.))
À la suite de cette première recette, nous avons décidé de « se mettre bien » plus souvent. On a un budget pour chaque semaine, à répartir entre les différents postes de dépenses : Tuctuc / logement / nourriture / activités. Si on ne peut pas restreindre les besoins de Nelson, on peut se serrer la ceinture sur certains trucs moyens pour se payer de bonnes tranches de kifs. Chose que nous avons appliquée par la suite, à raison d’un gros kif par semaine.
Smoothie de pluie, de marbre et de lac, encore
Nous continuons notre route au bord du lac Carrera pour rejoindre le petit village qui porte bien son nom, Puerto rio tranquilo. En effet, il y a un petit port, une rivière et c’est très tranquille. Pour compenser notre entrée au lodge, nous avons passé les nuits suivantes à dormir dans le Tuctuc et à manger des nouilles instantanées. Mais comme nous ne sommes pas fous, nous avons choisi de jolis décors. L’un des plus beaux fût notre escapade dans les capillas de marmores (trad : chapelles de marbre.)
Spaghettis de déambulation à la sauce glandouillage
Nous avançons dans le menu des petits et grands plaisirs de la route australe avec des journées un peu floues et des paysages incroyables. Le lendemain matin, nous avions d’abord prévu de descendre à Cochrane et puis finalement non, nous voulions surtout aller jouer sur les montagnes du parc Cerro Castillo. Torres del Paine ayant été un grand bonheur, nous avions hâte d’aller voir celui que l’on considère comme le TDP (pour les intimes) encore peu connu. Nous voilà donc repartis sur la route, salivant à l’avance devant le plat de résistance de notre aventure australe. Quel ne fut pas notre désappointement quand nous sommes arrivés dans un village désert où nous n’avons trouvé que portes closes et gens bof aimables (ce qui est quasi-impossible pour un Chilien, le pays étant peuplé par les personnes les plus accueillantes du monde). Nous avons également découvert que le parc était fermé pour mauvais temps. Déçus, nous repartons sur la route en direction de Coyhaique. L’un des ingrédients de notre recette du bonheur est la sérenpidicité soit l’art de trouver quelque chose par hasard ou de partir le matin en voulant aller quelque part, changer d’avis en cours de route et finir par dormir nulle-part. Et c’est comme ça qu’en lieu et place des majestueuses montagnes du Cerro Castillo, nous avons dormi sur une station-service à l’entrée de Coyhaique. On se l’était imaginé comme une jolie petite ville du même style que celles que nous avions visitées sur la route, avec ses petites maisons de bois d’où sort la fumée des gros poêles. Mais en fait non, c’est une grosse ville avec des supermarchés géants où les habitants des charmants petits villages viennent remplir leurs caddies une fois par mois. On y trouve d’ailleurs des sacs de 20 kg de farine. Cependant, cette halte nous a conduit à un autre moment de bonheur.
Fatigués par notre périple, nous avons pris une chambre dans une petite auberge de la ville. Il y avait un lit deux personnes (ce qui n’est pas négligeable pour qui est habitué à dormir dans des lits superposés), une salle de bain avec de l’eau chaude, une télé et du super wifi. Le luxe total. Nous avons passé une journée à glander devant Netflix. Puis une deuxième car il neigeait beaucoup trop pour reprendre la route. Le bonheur est parfois dans la glande.
Glaçon on the rocks
Une fois la tempête de neige finie, nous avons repris la route, direction le parc Queulat. Nous avons traversé des étendues neigeuses sur lesquelles étaient posées les petites maisons de contes de fées et les vaches de livres pour enfants, nous avons l’impression de rouler entre les décorations d’une bûche de Noël géante. Tout était calme, à bord de notre vaillant Tuctuc, nous glissions dans du sucre, comme sur un tapis volant.
Cette route magique nous a menés vers une forêt enchantée au fond de laquelle nous trouvons un majestueux glacier coincé entre deux montagnes. La magie du hors-saison a fait que nous avons croisé personne et avions le terrain de jeu pour nous tout seul. Il paraît que l’été, le parc est si bondé qu’il faut jouer des coudes pour pouvoir admirer le glacier.
Com[potes] à la fraise
Un des principaux ingrédients des moments de bonheur est les copains. Et pour nos deux dernières étapes de la route australe nous avons eu le droit à une double portion de dessert.
Nous avons commencé par revenir à Chiloé, une île un peu mystique faite de sorcières et de marins. Nous y avons passé d’inoubliables vacances, il y a 2 ans de cela, chez Dani et Andréa, le couple le plus sympa de l’île. À 50 ans, ils ont tout quitté pour vivre dans une maison de bois sur la plage isolée de Calen et de vivre de l’artisanat sur cet île magique. Dans leur vie d’avant, Dani travaillait à la bibliothèque nationale de Santiago et écrivait des bouquins, Andréa était prof d’Anglais et chanteuse dans un groupe folklorique. Nous avions partagé leur petite maison au bord de la plage et nous nous sommes laissés adoptés par ce couple qui avait l’âge de nos parents, ils nous nourrissaient, nous emmenaient promener, nous apprenaient des trucs, nous regardions tous les soirs la télévision en mangeant toute notre soupe… Depuis, nous avons gardé contact et avons donné souvent des nouvelles, de ce fait impossible de passer dans le coin sans revenir les voir. Aujourd’hui, leur petite boutique-coopérative artisanale s’est bien agrandie et a beaucoup de succès, Danni a repris le virus des bouquins et a créé une bibliothèque communautaire. Ils nous ont demandé quand est-ce qu’on leurs ramènerait des bambins, des vrais parents on vous dit. Si un jour vous passez par Chiloé, allez au petit village de Dalcahué, mangez du Curanto (plat typiquement chilote à base de fruits de mer, de viandes et de patates cuites dans un trou sous la terre) et allez acheter des souvenirs à Deco Calen. Mais dépéchez-vous, car leur prochain projet est de faire le tour du monde en bus.
Encore tout chaud de nos retrouvailles avec nos « parents chilotes », nous mettons les voiles, ou plutôt les moteurs du ferry, vers Puerto Montt, plus grande ville croisée depuis longtemps. Nous nous sommes souvenus que le captain Boulard devait y passer une semaine, le mois dernier, sur le bateau d’un copain du coin. En arrivant en ville, nous lui envoyons un mail en lui demandant si par hasard, il était toujours dans le coin. Nous recevons sa réponse 5min plus tard, il nous invite à venir prendre l’apéro sur le bateau de son copain, bateau sur lequel il est finalement resté un mois. Le captain Boulard est un gars qui aime prendre son temps. Ni une, ni deux, nous le rejoignons à bord pour une soirée à refaire le monde. Captain Boulard est toujours aussi discret et il a toujours le chic pour être toujours joyeusement accompagné. En l’occurrence, cette fois-ci, il était accompagné par Pierre, jeune documentariste fort sympathique. Nous sommes arrivés pour l’apéro puis nous sommes repartis 3 jours plus tard. Entre-temps, nous avons refait la mer et notre stock de blagues. Nous sommes repartis vers le Nord alors que Boulard descendait au Sud, retrouver son cher canal Beagle qui lui manquait déjà tant. C’est jamais facile de quitter le Boulard.
La vie c’est pas que du bonheur. C’est beaucoup de purée Mousseline à la cantine pour peu de millésimes. Mais quand on a la chance d’en prendre une coupe alors, il faut prendre le temps de la savourer et sentir chacune de ses bulles avant qu’elles ne s’en aillent. Odile, quand elle se paie une tranche de bonheur, elle se prend pour « les rois du monde ». Boulard lui, se demande si « elle est pas belle vie ? ». Nous on s’arrange pour « se mettre bien » et c’est pas si mal. Allez, bon appétit !