Uruguay – La Coronilla : Le bonheur est dans l’eau courante

Le bonheur est dans l’eau courante. Pas dans le prés, ni dans des châteaux en Espagne, n’allez pas non plus chercher midi à quatorze heure, ni de moines bouddhistes, je vous le dit tout de go, le véritable bonheur repose dans l’eau courante. Ceci est la morale de notre aventure de 3 jours dans le « Nowhere land in the middle of nothing » uruguayen.

Nelson profite de sa solitude pour réfléchir à sa condition de Tuscon

Tout est parti d’une recherche sur Workaway, où nous sommes tombés sur l’annonce d’une petite asso qui cherchait des bénévoles pour venir découvrir leur réserve naturelle. Banco ! Sitôt franchie la frontière Brasilo-uruguayenne, direction la Coronilla, petite bourgade de quelques centaines d’âmes située à environ 20 bornes de la frontière.

Arrivés sur place nous faisons la connaissance de Bruno et Nico. Bruno, c’est l’idéalisateur de Legado Nativo, l’asso qu’il a créée afin de protéger ce petit coin de nature. Il s’est toujours engagé pour l’environnement, à 15 ans déjà, il était bénévole dans une ONG pour la protection des tortues marines. Il y a ensuite travaillé jusqu’au jour où il a quitté son Montevideo natal pour ce coin sauvage qu’il veut préserver des vicissitudes de la modernisation à tout prix.  A ses côtés, Nico, le deuxième larron de notre aventure. Nico est un chasseur repenti, reconverti en protecteur de capivaras .

Après un brin de causette, nous nous attelons à la préparation de la pizza. Caroline mets les mains à la pâte sous la direction de notre hôte qui prépare la sauce. Deux heures plus tard, pizza avalée, douche prise, dodo dans le tuctuc.

Mosquitos, hypster des bois & Netflix

Le lendemain, direction la réserve : 20min de piste à travers champs + 20min de tohue-bohue au milieu des vaches + 10min de marche dans un bosquet rempli de moustiques, porte d’entrée de la réserve. Nous avons laissé Nelson avec les vaches du voisin. Notre futur refuge face à l’adversité.

La petite maison dans la prairie

Après avoir traversé l’enfer des mosquitos, nous découvrons une cabane où s’alignent divers modes de construction avec plus ou moins de succès. Tels les trois petits cochons, ils ont testé la terre puis le bois puis un mélange de bouteilles en verre et de boue avant de conclure que la pierre restait la meilleure façon de s’abriter. Quant à la cheminée elle est le résultat de 6 tests non-concluants, les autres se sont soit effondrées, soit elles enfumaient l’intérieur de la maison.

Nico nous fait une visite de la réserve naturelle. Un grand espace de nature sauvage, où grâce à leurs bons soins, les capivaras, menacées d’extinctions dans cette région, reviennent. Ils ont recensé une dizaine de nouveaux animaux depuis leur arrivée.

Nico dans la réserve

Nico est un type bourru mais très attachant. Grand, mince, brun à la grosse barbe rousse, une tête de hypster dans une dégaine d’Amish des bois. Un gars du pays qui connait le coin comme sa poche, où il garde toujours, toujours, toujours, son gros couteau. Il ne parle que pour dire l’essentiel, généralement il s’agit de leur réserve, qu’il nous montre avec fierté. Bruno nous explique qu’il a beaucoup changé depuis leur rencontre. Avant il ne parlait pas, maintenant il s’exprime un peu.

Et si ce n’était pas lui qui avait raison au fond ? Caroline se souvient d’une théorie qu’elle aimait à imaginer quand elle était petite. Si les êtres humains naissaient avec un stock de paroles données à utiliser, disons que nous aurions le droit à seulement 10 000 mots au long de sa vie, à quelles occasions les dirions-nous ? Vaste question. Les déclarations d’amour ou de guerre prendraient peut-être plus de valeur. Une chose est sûre, nous serions enfin débarrassés des conversations toutes faites sur l’état de la météo. Peut-être que Nico les dédierait à la réserve, aux capivaras qu’ils ne chassent plus et il aurait bien raison.

Le soir retour à notre chère petit maison sur roues, havre de paix et de propreté dans ce monde brut. Et là stupeurs et tremblements, nous n’avons pas prévu assez d’eau, trois petites bouteilles pour se laver et boire pour les deux jours à venir, c’est rude. Nous enclenchons le mode rationnement de survie : brossage de dent à la MacGyver et trois gorgées d’eau par personne. Puis enclenchage du mode Netflix & dodo. Il y a une certaine magie de ce monde moderne à regarder « 13 reasons why »  dans des futons bio dans une voiture brésilienne dans un champs de vaches dans le fin fond de l’Uruguay.

Potager bio, Voltaire & bouses de vache

 

Le lendemain, réveil aux aurores aux sons des vaches et des vastes plaines verdoyantes. Avalage du petit déj’ officiel du voyage, composé d’un bol d’avoines-granola puis, brossage de dents accroupis à côté du Tuctuc pour se protéger du vent. Beaucoup de vent. Crapahutage pour rejoindre la maison de nos hôtes ou plutôt de notre hôte Bruno, Nico préférant dormir dans sa tente militaire au cœur du bosquet à moustique. On le soupçonne de trouver la hutte trop cracra ou trop aérée.

Au programme de la journée : potager bio. Nous plantons gaiement épinards, laitues et ciboulettes. Nous apprenons les bases de l’agriculture bio, ce qui consiste à associer différentes espèces afin que chacune repousse les insectes ennemis à sa façon. Ça fait du bien de mettre les mains en terre et à la pâte en observant la nature. Le pain a été une révélation. C’est fou de se dire que nous sommes arrivés à la trentaine sans jamais avoir fait notre propre pain, quelque chose d’aussi simple, de si élémentaire. Du coup on a acheté de la farine à Montevideo puis de la levure à Buenos Aires, il ne nous manque plus qu’à trouver un endroit avec un four et du temps à disposition.

En fin d’après-midi sonne l’heure du déjeuner. Bruno et Caroline se collent à la cuisine pendant que Gaël et Nico vont déplacer la voiture. En prévision de la pluie, il vaut mieux rapprocher le Tuctuc de la route sous peine de se retrouver coincés dans la gadoue.

En cuisinant, Caroline fait plus ample connaissance avec Bruno. Il lui raconte comment il est arrivé à cette réserve, à ce projet et comme il a essayé, sans succès, de vivre « la vie classique ». Il lui explique son besoin de se lever le matin pour aller faire quelque chose d’utile, d’être auto-suffisant. A la réserve il voit déjà le résultat que sa simple présence produit dans ce petit coin sauvage. Caroline lui parle de la morale de Candide: « il faut cultiver notre jardin ». Ça le fait rire de penser qu’il a mis moins de temps que Voltaire à trouver le sens de la vie. Cultiver sa réserve, protéger les capivaras, tel est le sens de la vie de Bruno. Pas trop mal.

Pendant ce temps là, Gaël et Nico ont marché 4 km à travers champs, à raison de 10 mots à l’heure.

Après une petite leçon d’histoire uruguayenne et le retour de ‘l’équipe voiture’, nous avalons notre assiette de riz aux légumes. Puis crapahutage digestif à travers bosquets et clairières sauvages. Nous faisons connaissance avec un arbre né en l’an 0 avec J-C. C’est dingue de se retrouver face à un arbre vivant là depuis plus de 2 000 ans. Bien avant ta petite existence de bipède, bien avant ta grand-mère et sa propre grand-mère, bien avant le fil à couper le beurre.

Avec la tombée de la nuit vient l’heure du dîner. Nico se sent pas bien et préfère passer son tour, Caroline lui emboîte le pas après avoir analysé l’état de la vaisselle, rincée à l’eau jaunasse d’origine douteuse et frottée avec une éponge qui doit dater de la même époque que l’arbre susmentionné. Gaël, qui décidément est l’être humain le moins difficile à faire manger, se partage les restes avec Bruno.

Arrive l’heure de revenir à notre cher Nelson. Quatre kilomètres en pleine nuit, à travers champs, le but du jeu ? Arriver à bon port en évitant les bouses de vaches fraîches. En parlant de vache, c’est fou comme la nuit toutes les vaches sont grises et ont des yeux rouges diaboliques. Les adieux avec Bruno sont brefs mais touchants. Il nous dit que c’est important pour eux qu’il y ait des gens qui viennent découvrir sa réserve, ça légitime son projet auprès des autres.

Gaël et sa bouse de vache fumante

Re-brossage de dents à la MacGyver, toilette de chat à la lingette de bébé puis changement de vêtement. Nous empestons la suie et ce, depuis que Gaël a appris que la bouse de vache séchée éloignait les moustiques. A la tombée de la nuit il s’empresse d’en faire brûler à s’encrasser les poumons et la cabane. Faible vengeance après s’être fait dévorer la veille à raison de 40 piqûres par jambe.

Tonnerre et tempête apocalyptique toute la nuit. C’est dans ces moments là que l’on se dit qu’on est bien chez soi, à l’abri dans son Tucson. Le lendemain, retour à la civilisation et au bonheur simple d’avoir de l’eau courante, de prendre une douche, d’étancher sa soif et de ne plus sentir la suie de bouse de vache. Nico nous apprends que Bruno se sent pas très bien. Sa théorie selon laquelle l’eau chaude tue tous les microbes est mise à rude épreuve.

Nico / Caro / Bruno
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