Vive la Patagonie hors-saison ou comment faire l’école buissonnière dans la diagonale du vide

 

 

Je sais pas vous, mais quand j’étais petite j’étais toujours très intriguée par ce qui se passait quand j’étais à l’école. L’école était comme une île où le temps s’arrêtait à la grille de la cour. Je me demandais comment le monde tournait quand je n’étais pas là. Que pouvaient bien faire les gens en semaine entre 8h et 16H30 ? Est-ce qu’il y a des embouteillages ? Est-ce qu’il y a des gens dans les rues ? Où vont les canards quand il fait trop froid ? Quand sonnait l’heure de l’école buissonnière je regardais, fascinée, la « vraie vie » des « vrais gens. » Encore aujourd’hui, je prends toujours un plaisir particulier à me balader en semaine et marcher sur les trottoirs désertés par les écoliers et les « bureauliers », comme si je regardais le monde par le trou de la serrure.

Quand l’heure de notre grande école buissonnière a sonné, on s’est retrouvé à voyager hors-saison. On l’a pas fait exprès. C’est tombé comme ça. On était même pas au courant des saisons avant de partir sur la route. Nous avons toujours le don d’arriver quand la fête est finie.

Hors-saison, hors de la saison, hors de la foule, hors des murs, à côté de la plaque, à rebours. En retard ou trop en avance, nous ratons les rendez-vous de nos vacances (et nous avons toujours David et Jonathan dans la tête). Tout a commencé pendant la descente de l’Argentine. Nous sommes arrivés à Peninsula Valdes avant les orques et les baleines mais juste après les pingouins, à une semaine près on y était presque. Nous avons traversé la Patagonie argentine à contre-sens alors que tous les touristes et même les habitants remontaient bien vite. Même le soleil a préféré quitter le Sud.

Tuctuc se sent bien seul sur les routes enneigées.

Voyager hors-saison c’est arriver quelque part et entendre systématiquement :« Ah mais vous arrivez bien après les autres ! Si, il y a plein d’activités à faire dans la région mais là c’est l’hiver. Ah mais vous verriez ça l’été, c’est plein, il y a des gens partout. Mais d’ailleurs que faites-vous ici en hiver? » Bonne question.

On découvre la « vraie vie » avec « les vrais gens » quand tous les touristes et les habitants saisonniers sont partis. On fait le voyage buissonnier. Pour nous la Patagonie restera un no-man’s land. Voyager hors-saison c’est être toujours les derniers de la saison avant la fermeture hivernal et se retrouver seuls dans des auberges de jeunesses vides avec des dortoirs pour deux, ambiance Shining sans le flippant petit garçon en tricycle. Le hors-saison c’est aussi se retrouver seuls sur les sentiers battus et d’avoir la magie spectaculaire de Torres del Paine rien que pour nos yeux.

Mountain porn, pumas & apéroule à Torres del Paine

Torres del Paine est à juste titre surnommé la 8e merveille du monde. Situé entre la Cordillère des Andes et la steppe de Patagonie, au sud du Chili, le parc regorge de paysages somptueux et contrastés, entre montagnes, plaines, glaciers, forêts, lacs et cascades. Sa vue la plus célèbre est celle des trois pics de granite qui culminent à 2.900 m d’altitude. En été, ses montagnes sont envahies par les trekkeurs du monde entier qui viennent faire les fameux parcours W et O.

Comme en hiver ces treks sont fermés pour cause de neige, nous avons passé nos journées à nous balader entre lacs et glaciers, à la recherche des pumas des neiges. Ces gros chats de la montagne descendent chasser dans les vallées quand les sommets sont enneigés.

Fin de soirée sur Torres del Paine.

Le premier jour nous avons été fascinés par le lac Grey, gelé. J’ai rencontré le tractopelle le plus classe du Chili pendant que Gaël comptait les glaçons sur le lac. Le deuxième jour, nous sommes partis à l’assaut du lac Nordenskjöld. J’ai médité sur la montagne en écoutant les petits piafs pendant que Gaël essayait de trouver un meilleur point de vue, sans succès. Le soir nous avons dormi au bord de la rivière, avec vue sur les trois célèbres pics de granits, comme dirait ma copine Odile, nous étions « les rois du monde. » Et pour fêter ça, nous avons fait un apéroule. L’art de l’apéroule a été inventé par notre copain Doudou lors d’une averse de pluie dans la montagne carioca et consiste à prendre l’apéro en voiture en écoutant du Julien Clerc très fort. L’avantage du vin est qu’il réchauffe les cœurs et les corps, ce qui nous a fait oublier nos nuits à -7°C dans le Tuctuc.

Le troisième jour, nous avons marché seuls dans la montagne dans l’endroit le plus moche et inintéressant de Torres del Paine. Moi, je râlais pendant que Gaël imitait un guanaco adolescent. Oui, il faut le voir pour le croire. Le seul intérêt de la ballade résidait dans le fait de pouvoir apercevoir des pumas. A la place des pumas, des hordes de guanacos sauvages squattaient les parages. Déçus, nous sommes rentrés broucouilles.

Je vous l’accorde, l’endroit le plus moche de Torres del Paine sera toujours plus beau que les plus belles vues de Dunkerque mais, que voulez-vous la beauté est addictive.

Une fois arrivés au Tuctuc, la garde-forestière nous a appris que des pumas étaient passés par là pendant que nous étions partis. Dépités, nous reprenons la route, jaloux que Nelson ait vu des pumas et pas nous. Quand tout à coup, à la nuit tombée, nous voyons un gros chat qui veut traverser la route. Croyez-le ou non, nous avons vu devant les phares du Tuctuc ébahi, un magnifique puma bondir devant nous. Miracle du destin. Expérience Torres del Paine réussie.

Gros glaçon, gros plouf & petit renard à el Calafate

Après le Disneyland du beau, nous avons traversé les Andes pour El Calafate du côté argentin, le Disneyland du glaçon. Il parait qu’en été, comme dans le reste de la Patagonie, El Calafate est pris d’assaut par les touristes du monde entier à la recherche du gaucho way of life et des gros glaçons. L’hiver, c’est une petite ville touristique avec des magasins de souvenirs vides, des restos fermés et des agences de tourisme tristes. La grande attraction est le glacier Perito Moreno, plus gros glacier d’Amérique du Sud. Les argentins aiment se vanter sur ce qu’ils ont de plus gros. C’est comme ça.

Le glacier sous toutes ses coutures.

Nous nous sommes donc aventurés sur les chemins qui nous menait au gros glaçon, après tout on en a fait des kilomètres pour le voir. Est-ce que ces kilomètres et le prix exorbitant de l’entrée en valaient la peine ? Nous avons ici deux écoles. Gaël qui trouve que c’est quand même très impressionnant et considère que c’est l’une des plus belles choses sur laquelle ses yeux se sont posés. Quant à moi, j’ai été un peu déçue, mes sentiments restent encore mitigés à l’heure qu’il est. Oui c’est beau, oui c’est grand mais, je trouve que les 10 km de passerelle en font un parc d’attraction pour glaçon. Je m’attendais à une randonnée à travers forêts avant de découvrir un mur de glace. En réalité, t’arrives, tu paies ton pesant de cacahuètes pour entrer, puis au bout du chemin t’as un grand parking avec une cafétéria et un magasin de souvenir puis tu chemines sur des passerelles autour du glacier.

Un gros bloc de glace en soit, c’est impressionnant mais ça bouge pas des masses, pas de quoi y rester des heures. La seule attraction d’un glacier étant d’attendre qu’un gros bloc de glace se sépare et tombe sur l’eau en un gros plouf. Et pour ça, on a pas été déçus. Moult blocs de petites et grandes tailles sont tombés devant nos yeux ébaubis. Hasard ou coïncidence, nous avons passé beaucoup de temps, les mains jointes, front contre front, à envoyer des « pensamentos positivos » pour que les blocs de glaces tombent. Là aussi, il y a deux écoles.

Hippies, dentifrice de luxe & pizzas à gogo à El Chaltén

Après la glace, nous avons remonté la célèbre route 40 en direction d’El Chaltén, petite bourgade de hippies au pied du célèbre Mont Fitz Roy. L’été, El Chaltén est le Disneyland des trekeurs, logée dans la Cordillère des Andes, elle est le point de départ d’une multitude de randonnées. Personnellement je n’en ai fait qu’une petite et pas la plus sympa. Pour ma part, El Chaltén se résumera à une semaine enfermée dans un hôtel vide à travailler sur mon ordi en regardant la pluie et le vent par la fenêtre, le vague souvenir d’un village vide où les seuls commerces ouverts en hiver sont deux restos, une supérette avec des étals à moitié vides, une boulangerie hors de prix ouverte entre 17h et 20h et une pharmacie qui vend du dentifrice à 8€ le tube. Il faut savoir qu’El Chaltén est loin de tout, la ville la plus proche est à 3h de route mais, pour une raison inexpliquée les produits frais viennent de Cordoba, à l’autre bout du pays, ce qui fait qu’ici tout ce qui n’est pas en boite est considéré comme un produit de luxe. Nos repas variaient entre pâtes à la sauce tomate à l’hôtel les jours pairs et Fugazzeta (pizza typiquement argentine à base de mozzarella et d’oignons, ça a l’air bizarre comme ça mais c’est bon) au seul resto sympa d’ouvert les autres jours. Autant dire qu’une semaine plus tard nous n’avions jamais été aussi heureux de voir une carotte.

Voilà ce sera tout pour moi, je laisse Gaël partager avec vous son expérience El Chaltén :

« L’avantage de voyager sur de longues périodes, c’est que l’on peut se permettre d’attendre la bonne fenêtre météo pour sortir. Cela n’a jamais était aussi vrai qu’à El Chaltén. Durant une semaine nous avons eu de la pluie, du vent, beaucoup de vent (jusqu’à 110km/h) et parfois même de la neige. Heureusement, nous avons eu une journée de répit avec un grand ciel bleu au rendez-vous. Laissant Caroline à ses micros, je suis allé visiter la star du coin: le mont Fitz Roy. Du haut de ses 3405m, il est loin d’être le plus haut sommet de la cordillère mais il est réputé comme l’un des plus dur à escalader dû à son granite très compact et aux conditions climatiques extrêmes. Il est si souvent entouré d’un nuage à son sommet que l’on a cru jusqu’en 1902 que c’était un volcan.

La randonnée dure 9h-10h selon les locaux, vu que les journées sont courtes en hiver sous ces latitudes je décide de n’en faire qu’une partie. Après une bonne heure et demi montée, premier point de vue sur le mont Fitz Roy: c’est magnifique et ça donne envie d’en voir plus. Je décide de continuer, juste pour se rapprocher un peu. Et puis plus on avance et moins on a envie de faire demi-tour. Finalement, après 3h de marche je me retrouve face à la dernière partie. C’est très raide et plusieurs panneaux essayent de vous décourager « équipement neige obligatoire », « Attention, personne en bonne santé seulement ». Finalement, avec un bâton taillé grâce au Leatherman qui ne quitte jamais ma poche, quelques passage à 4 pattes pour ne pas glisser et une bonne heure d’effort j’arrive au pied du Fitz Roy! Je m’arrête 15min le temps d’apprécier la vue et c’est reparti pour 10km de descente. »

En partant, nous avons accueilli notre premier auto-stoppeur du voyage afin de le sauver d’un ennui mortel. Avec lui nous avons repris la route 40 et ses longues étendues du vide, nous avons mangé un sandwich pain rassis-fromage-poivre sur le bord de la route, devant un panneau « Cédez le passage ». Ensemble, nous avons trouvé que ce devait être une blague des autorités argentines, sachant qu’en 6h de route, nous avons croisé 3 voitures. Oui on les a comptées. Nous avons rencontré deux êtres humains dans le seul café que nous avons trouvé le long des 500km parcourus et nous avons vu moult guanacos attendrent le dernier moment pour traverser la route, ce qui nous oblige à piler devant leurs nez de guanacos facétieux. Nous avons soupçonné les guanacos de tromper leur ennui mortel en se jetant sous les roues des voitures. Nous avons laissé Mathieu dans la charmante bourgade de Perito Moreno (la ville, pas le glacier), avant de retrouver bien vite notre Chili adoré. Mais ça, c’est le prochain épisode. Quant à Mathieu c’est un mec très sympa qui voyage en faisant des tours de magie.

Nous avons fait la Patagonie buissonière, celle délestée de ses touristes où les gens s’étonnent de vous voir encore là. Comme ces enfants à qui on demande bah y a pas école ? Nan, il y a pas d’école cette année, enfin si mais autrement, plus lentement. Au fil de la route je réalise ce vieux fantasme de petite fille, savoir comment tourne le monde aux heures ouvrables. Au fond j’avais raison, le temps se fige, les gens tournent en rond, mais plus lentement.

 

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5 Responses to “Vive la Patagonie hors-saison ou comment faire l’école buissonnière dans la diagonale du vide”

  • Au fait nous serons a Salta debut novembre, tres probablement!!!!
    Et j’oubliais, tres joli texte!

  • Merci pour tes jolis mots 🙂 on a tellement pensé à toi au lac Carrera ! Je comprends maintenant qu’il a été le décor de ton grand moment de bonheur 🙂

  • Ça tombe bien tu nous rejoins tout bientôt ! On a trop hâte ! On te prépare la place d’honneur dans le Tuctuc 🙂

  • COmme d’habitude, super teXtes et photos geniales! Ça donne envie de vous rejoindre (!!).
    En revanche, je découvre avec stupéfaction que vos ondes positives sont à l’origine de la fonte des glaces. Le gloBal warming, c’était donC vous!!! Bel esprit…

  • HEhe la copine Odile voit parfaitement sur quel magnifique royaume vous regnez!
    Vos photos sont juste extraordinaires!!!
    La patagonie est definitivement un endroit magique!
    Je ne pense pas que vous Arrivez trop tot ou trop tard, profitez juste du fait que votre cour ait DÉSERTÉ!
    Beijinhos