Un peu de Sucre dans ce monde de brut

Il y a des villes qui sont comme des amis, on a l’impression de les connaitre avant de les avoir rencontrés, on les reconnait au premier regard et on s’y sent bien. Ce fût le cas de Sucre, notre deuxième maison-ville du voyage. Comme à Puerto Williams, nous l’avons tellement souhaitée qu’elle nous est apparue sans le vouloir. Nous l’avons connue, reconnue, nous y sommes restés, plus longtemps que prévu, nous nous y sommes ancrés, nous nous sommes fait des copains et nous l’avons quittée le cœur serré, avec des envies d’encore. Il y a des villes comme ça, qui deviennent des maisons de passages.

Avant Sucre nous avons passé un week-end chez sa grande-sœur Potosi. Comme des frangines, ce sont deux villes indissociables. Il y a d’abord la plus vieille, Potosi qui après avoir connu son heure de gloire vit aujourd’hui dans l’ombre de sa cadette, la belle Sucre qui s’attire les faveurs des touristes et des amateurs de Dolce Vita. A elle deux, elles ont forgé le destin de la Bolivie.

Potosi vue depuis la mine. Son nom vient du quechua Potojsi qui signifie « tonnerre ». Du haut de ses 4090m, elle est la deuxième ville la plus haute du monde après El Alto (4149m) en Bolivie également.

Quand les Espagnols ont découvert que l’Amérique du Sud existait, ils ont cherché l’Eldorado, cette hypothétique cité regorgeant d’or. Ils l’ont trouvée au cœur du Cerro rico qui, comme son nom l’indique, est une montagne riche en argent, zinc et étain. C’est d’ailleurs de là que vient l’expression « C’est le Pérou » car à l’époque, la Bolivie n’était encore que la partie nord de la vice-royauté du Pérou, synonyme de richesses à gogo. L’argent a d’abord été extrait par des esclaves africains puis très vite remplacés par les indigènes du coin car les Africains n’ont pas supporté le froid et l’altitude. Les colons, toujours si prompts à respecter les cultures de ceux qu’ils viennent emmerder sans d’autres raisons que l’appâts du gain, au lieu de les laisser tranquilles ont alors détourné la mit’a à leur seul avantage. Sous l’empire Inca, la mit’a était un système qui obligeait les hommes en âges de travailler, c’est à dire entre 15 et 50 ans, à participer à des travaux pour le bien de la communauté, comme la construction de routes ou le labour des champs impériaux. En échange de quoi, leurs familles étaient à l’abri du besoin, des terres leurs étaient octroyées et des fêtes étaient organisées en leur honneur. Les Espagnols ont remis au goût du jour le principe de la mit’a afin de convaincre les indigènes à travailler gratuitement, jusqu’à leur mort, sans rien d’autres en échange que d’œuvrer pour le bien du capitalisme.

Avec une main d’oeuvre si bon marché, Potosi devint rapidement la ville la plus peuplée d’Amérique derrière Mexico, au 16e siècle elle comptait plus de 200 000 habitants. A l’époque, les riches exploitants de la mine se vantaient en disant à qui veut l’entendre qu’avec la quantité d’argent extraite, on aurait pu construire un pont qui relierait Potosi à l’Espagne. Aujourd’hui les historiens s’accordent à dire que si un pont en argent est exagéré, un pont en os de mineurs morts durant des accidents serait plus réaliste. Depuis le 19e siècle, le Cerro rico s’appauvrit et Potosi avec. Aujourd’hui, le fillon d’argent s’est tari et l’étain reste la principale ressource de la mine. Bien que déclarées épuisées, les mines sont toujours exploitées artisanalement par les habitants, dans des conditions de sécurité toujours aussi difficiles pour les mineurs.

Potosi ? C’est de la dynamite mon kiki !

Nous avons beaucoup réfléchi avant de visiter la mine. On avait peur d’être les gros gringos à appareil photo venus voir comment travaillent les pauvres mineurs boliviens. Nous sommes aller voir l’agence Big Deal tour, la seule tenue par une coopérative de mineurs et nous avons été convaincus par Wilson, mineur depuis ces 8 ans. Un sacré personnage ce Wilson, un petit bonhomme passionné et passionnant qui aime sa mine, la bière, les copains et faire la fête avec ses copains dans la mine. Un mec qui n’a pas été à l’école mais qui parle vachement bien l’anglais et le français. C’est aussi l’une des dernières personne sur terre, avec Caroline, à dire « c’est parti mon kiki » à tout bout de champs. Chapeau monsieur.

Mercado, premier arrêt. Nous nous sommes arrêtés au marché en bas du cerro pour acheter des cadeaux aux mineurs. Qu’offrir à un mineur bolivien me diriez-vous. Tout simplement, des feuilles de coca pour pouvoir tenir le coup pendant 12h dans la mine, sans manger, sans dormir et sans voir le jour. Les feuilles de coca sont sacrées dans les cultures Aymara et Quechua, elles servent d’offrandes aux divinités mais aussi plus prosaïquement d’horloge aux confins de la terre. Les mineurs entassent une cinquantaine de feuilles entre les dents et la joue puis mâchent du bicarbonate de soude pour activer l’effet, la coca agit comme un stimulant pendant 4 heures. Quand les feuilles n’ont plus de goût ils savent que c’est l’heure de faire une pause et recharger les batteries, au bout de la troisième fois il est temps de remonter à la surface.

En plus des feuilles de coca, les mineurs aiment recevoir des bouteilles de soda et de la dynamite, pour faire des percées dans la mine. D’ailleurs Potosi est la seule ville au monde où il est autorisé de vendre de la dynamite sur le marché entre deux stands de légumes.

La dynamite se vend avec les éléments séparés : la dynamite en bâton, l’amorce verte à insérer dans la dynamite et le sachet de granulés blanc/rose c’est du Nitrate d’ammonium. Oui parce que la dynamite toute seule c’est pas assez explosif alors on met du Nitrate d’ammonium autour augmenter la déflagration.

Après le shopping, nous avons revêtu nos habits de lumière puis direction l’usine de traitement des minerais; un grand hangar où l’on sépare les bons éléments des déchets et d’où sort une pâte qui sera ensuite envoyée en Europe pour être raffinée. A choisir, les mineurs boliviens aimeraient bien pouvoir faire tout le processus car ils pourraient revendre les minerais plus chers mais comme ce ne sont pas eux qui décident, ils se contentent d’espérer tomber sur la grosse pépite.

Caroline la mineuse.

L’entrée de la mine ressemble à une grande bouche ouverte vers les confins de la terre. On se sent vite avalé par l’obscurité, la poussière et le bruit des pioches qui cognent contre ses parois. Porte d’entrée vers un autre monde, hors du temps, loin du soleil. Les entrailles de la mine sont un labyrinthe de galeries plus ou moins étroites où s’amoncellent des tas de cailloux qui seront dégagés par des brouettes usées, tirées à bout de bras par les mineurs. C’est une étrange usine sous terre qui compte des centaines de mineurs, ils sont divisés en coopérative et les plus riches d’entre eux détiennent une parcelle qu’ils exploitent.

Les mineurs ont vraiment l’air content de nous voir d’abord parce qu’on rapporte des cadeaux et puis surtout nous sommes un truc fun qui vient couper la routine mais, en plus de ça ils sont fiers de montrer leurs vies et leurs métiers. Leur condition de travail est difficile mais ils savent garder la pêche. Wilson nous répète que la vie d’un mineur est courte donc il doit en profiter au maximum en faisant la fête et en ayant pleins de bébés, ça a l’air importants les bébés. Il était d’ailleurs très étonnés qu’on en ait pas encore, à notre âge il en avait déjà 5.

Chaque vendredi soir, les mineurs font une offrande à Pachamamac, le « mari » de la Pachamama  puis font la fête en son honneur en buvant de l’alcool à 96°C, en fumant des cigarettes artisanales et en dansant.

La dolce vita Bolivienne s’appelle Sucre

Sucre est la Capitale de la dolce vita bolivienne. Elle a été construite par les riches propriétaires de mines de Potosi qui voulaient échapper aux hauteurs de la ville minière. Il faut dire qu’elle est perchée à plus de 4 000m d’altitude, autant dire que pour marcher dans ses ruelles en pente il vous faudra reprendre vôtre souffle à chaque coin de rue. Elle a été la première capitale bolivienne, avant La Paz, et a connu le premier cri de liberté d’Amérique du Sud, c’est de sa place principale que les peuples autochtones ont commencé leur révolution contre la couronne espagnole. Et ça, c’est très important sous ses latitudes. 

En arrivant, nous réservons trois nuits chez Moï et Su dans leurs maison d’hôtes-cours de cuisine-auberge espagnole. Mais au bout de 2 jours, nous tombons amoureux de la ville et nous repousserons plusieurs fois notre départ pour glander royalement deux semaines durant.

O charmante Sucre, ville blanche et bohème.

On nous a souvent demandé ce que nous faisions de nos journées vu que, contrairement aux autres gringos nous n’étions pas ici pour prendre des cours d’espagnol. On ne savait pas trop quoi leur répondre car la vérité n’était pas très glorieuse mais fort agréable. Déjà nos journées commençaient par un glandage au lit devant le Bureau des légendes puis, quand midi et la faim sonnaient nous nous dirigions vers El Condor, notre QG sucrense. Nous y avons passé tous nos déjeuners, sauf un qui nous a confirmé qu’El Condor était the place to be. El Condor est un resto végétarien-agence de voyage-ONG avec un patio très agréable, des menus complets à 3€, des happy hours à la sangria et une playlist à base de The Cure, soit le paradis sur terre. Après le gargantuesque menu du jour, nous passions une heure ou deux à jouer aux cartes puis, nous allions manger une glace sur la place principale en regardant les gens passer. Parfois, nous faisions les touristes et nous visitions un des 10 000 trucs à visiter mais, quand on avait la flemme, nous revenions à la maison pour glandouiller un brin, avant de rejoindre les copains dans un des bars à musique de la ville. A vrai dire Sucre s’est résumée à des parties de cartes au Condor et à rencontrer une galerie de personnages qu’on n’oubliera pas de si tôt. 

Il y a d’abord eu Moï et Su donc, nos premiers hôtes. Moï est un sucrense, élevé dans un orphelinat allemand de la ville qui, après des études de design est devenu prof de cuisine bolivienne. Quant à Su, c’est une anglaise de Manchester venue en vacances il y a 3 ans et qui n’est jamais repartie. Ce sont les gens les plus relax de Sucre et c’est pas peu dire car Sucre n’est vraiment pas une ville stressante. Ils s’aiment d’un amour tout beau, tout mignon et ce, en dépit du fait qu’ils passent leurs journées ensemble.

Dans notre auberge espagnole sucrense nous avons eu la chance d’avoir des voisins de chambré plutôt cool. A notre droite il y avait les frères anglais Roy et Joël. Ils étaient drôles évidement, comme tous les anglais, et étaient aussi différents que complémentaires. Roy est grand, plutôt musclé style beau-gosse du quartier et ne pensait qu’à draguer les filles. Joël aka the officer est petit, un physique de mister Smith et prend la bataille danoise très au sérieux, et nous le rejoignons sur ce point là. Ils nous ont fait découvrir les folles soirées du Kultur Berlin, haut lieu de la night sucrense. Le seul en fait. 

Lors de la même soirée, nous avons rencontré Anne aka Anna aka Enna Banana, oui son appellation a l’air compliqué. Anne est une prof d’histoire allemande en congé sabbatique, végétarienne et fan absolu d’animaux. Nous sommes vite devenus inséparables. Nous nous retrouvions tous les soirs après ses cours puis nous sommes partis ensemble un week-end au parc Tororo mais ça, c’est une autre histoire. Lors de nos soirées dans les pubs sucrense nous avons aussi croisé des copains d’un soir dénichés on ne sait où par Anne l’hyper sociable de la bande. Il y avait ce couple de trentecinquaires (nb: des gens aux alentours de 35 ans) en vadrouille 6 mois en Amérique du Sud car madame est atteinte d’un cancer incurable. Puis un couple d’Anglais super drôles mais on n’est pas sûr car, la fille était très saoule et le type très écossais, ce qui flouttait la compréhension.

Coucher de soleil sur Sucre.

On vous a déjà parlé du Café Condor ? C’est possible. Comme il est vite devenu notre QG, nous sommes devenus les pilliers, nous regardions le monde défiler sous nos yeux au rythme des cartes qui s’abattent sur la table. Ce qui est très pratique pour les autres car ils savent toujours où nous trouver. Evidemment nous sommes devenus copains avec le serveur, Edwar, un gars qui garde ses cheveux très longs en hommage à sa défunte mère et qui rigole tout le temps. Il rit tout seul en nettoyant les tables, il se marre en servant les clients et il fait des blagues pour faire rire les gens. On l’aimait bien parce qu’il nous a fait penser à un autre copain, Edouard, qui a aussi les cheveux longs et qui rit tout le temps.

Il y aussi eu le guide du musée du trésor qui est fasciné par le fait que l’or provient de la fusions entre deux étoiles. Et puis Maria, la guide du walking tour qui est diplômée en tourisme, droit et pédagogie, rien que ça. Il y a eu aussi notre coiffeur-coiffeuse qui nous a sauvé d’une tempête de grêle et d’une coupe de cheveux désastreuse. Il faut savoir qu’en Bolivie si les coiffeurs coûtent moins chers qu’un litre de bière, par contre tu n’as pas le choix dans la coupe. Les officines affichent en vitrines les modèles à disposition, les hommes ont le choix entre Enrique Iglesias, Justin Bieber et Cristiano Ronaldo et les femmes entre Eva Longoria aux Oscars et Marisol del Olmo de La rosa de guadalupe. Quoi, vous ne connaissez pas la Cecilia de cette telenovela mexicaine ? Bande d’incultes.

Et puis il y a eu la famille parfaite, si parfaite qu’on aurait voulu se faire adopter. Après notre court séjour chez Moï et Su, nous avons réservé une chambre chez David, Lizie et Maria dans leur petit paradis sucrense. David est néo-zélandais et rentier, ce qui lui permet d’embarquer sa petite famille aux quatre coins du monde. Lizie est ukrainienne et a un don pour la déco, la cuisine, l’horticulture et l’art plastique. Et sûrement d’autres choses mais elle est bien trop modeste pour le dire. C’est simple, tout ce qu’elle touche se transforme en or. En plus, elle est tellement douce que le simple fait de lui parler vous rend aussi zen qu’une séance de yoga. Quant à Maria, elle a 10 ans, parle couramment le polonais, le russe, l’anglais et l’espagnol et a vécu dans plus de pays que vous en toute une vie. Et comme tout n’est qu’art de vivre, calme et volupté dans cette maison, après l’école Maria taille les rosiers en tenue de jardinière, pour s’amuser. Parfaits vous dis-je. Après avoir vadrouillé un brin en Amérique du Sud, ils ont décidé de se poser une année à Sucre pour que Maria apprenne l’espagnol. Ensuite ils repartiront vivre ailleurs selon leurs envies. Lizie a entièrement retapé cette maison pour en faire un havre de bon goût pendant que David cuisinait et fabriquait des liqueurs avec les fruits du jardin. Ils nous ont choyés comme des coqs en pâtes et logé dans la plus belle chambre que nous ayons eu durant tout le voyage, et accessoirement la moins chère aussi. Elle servira de modèle pour quand nous serons grands et que nous aurons une maison. Lizie nous préparait des bouquets de fleurs coupées ce qui fait que nous avions toujours des fleurs fraîches dans notre chambre. Souvent le soir, ils nous préparaient des dîners gastronomiques dignes des meilleurs restos car, évidement elle a appris la cuisine en regardant les chefs des restaurants étoilés où elle a travaillé. Nous dînions à la bougie en écoutant du Bob Dylan, nous discutions des longues descriptions de Flaubert dans Madame Bovary et de la Nouvelle Vague. Le dimanche, ils nous préparait de somptueux brunch et la vie s’écoulait paisiblement, comme les ronrons des chats du jardin. Ce fût un crève-cœur de partir, ils ont essayé de nous convaincre de rester encore un peu mais toutes les bonnes choses ont une fin.

Parfois voyager c’est savoir s’arrêter sur un banc, dans un lit, sous un arbre pour regarder le défilé de la vie passer. C’est, souvent, se laisser porter par les flots pour arriver à bon port. C’est, avec de la chance, s’attacher pour mieux relarguer les amarres.

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3 Responses to “Un peu de Sucre dans ce monde de brut”

  • PArfait! DU bon sucre pour mon café du matin!
    Ps: je pense que La Rosq de Guadalupe mériterait un article dédié!